●●○○○ Sabrons le goupillon

Au service secret de sa majestéPatrick Raynal s’amuse avec des choses méchamment sérieuses comme les paradis fiscaux, le pouvoir de l’Église, les intrigues de Palais et la souplesse infinie des pleutres à courber l’échine pour satisfaire leur hiérarchie.
« Au service secret de Sa Sainteté », roman d’espionnage, potache et jubilatoire, se dévore férocement. Imaginez une principauté sans impôts et sans printemps, où se trame une opération immobilière destinée à chasser les derniers plébéiens. Le fric y est roi ; malheureusement, le prince est fauché à force de magouilles. Il lui faut donc trouver quelque pécule pour pallier cela et continuer à satisfaire les oligarques richissimes qui amarrent leur yacht et festoient avec force poudre et alcool aux frais d’une princesse décédée et adorée par son peuple. Pour cela, il fomente une farce pour redorer son blason, avec l’aide du goupillon local. Ajoutons à cela, trois héritiers, un fils, deux filles, des casinos blanchisseurs de manne, des bolides magnifiques et des mannequins en goguette, un soleil permanent étouffant les saisons et le décor est planté. Bien entendu, toute ressemblance avec le rocher monégasque serait purement fortuite.
Sous les palmiers, Raynal nous amène un personnage missionné par le Vatican, véritable chien dans un jeu de quilles, au nom très satyrique de Jonathan Swift. Ce dernier, ancien activiste d’extrême gauche, devenu curé burkinabé pour que son passé soit oublié, est recruté avec ses qualités d’ancien combattant par un évêque, ancien résistant communiste, pour que cessent certaines accointances entre la principauté et une partie du Vatican. Jonathan Swift, dégoupilleur de goupillon et de potentat est aidé d’un ancien ami Marco Prottea, activiste lui aussi, devenu procureur acharné à l’encontre des mafias et de leurs obligés, les grands capitalistes.
Parfois, Raynal s’emmêle un poil les pinceaux en jouant avec les pseudos de ses personnages, le Marco Prottea devenu Lorenzo Macchiaveli finira en Marco Macchiaveli, mais peu importe, le machiavélisme est un art difficile à exercer…
Les mots swinguent tout au long de l’aventure, quelques maximes comme « s’attendre au pire n’est qu’une autre façon de rester optimiste » ou « si la police devait intervenir chaque fois que les riches se goinfrent sur le dos des pauvres, ce serait la fin du capitalisme », des clins d’œil (Jonathan Swift revenu du Pays des Hommes Intègres…), des images issues de tabloïds (une princesse dévergondée, un évêque pédophile…) et des jeux de mots permanents.
Donc, Raynal s’amuse et nous amuse, en exploitant l’actualité, en dénonçant comme à l’accoutumée l’ultra-libéralisme, les liens de l’opus dei, le scandale de l’argent, la servitude, en se moquant des luttes intestines des corps du pouvoir (police, armée, église…), mais il donne aussi beaucoup de lui en réinterrogeant le devenir des activistes des années 70, italiens ou français, leurs parcours, leurs utopies et leurs dénis et cela est tout aussi touchant que le rocambolesque de son roman. Au final, un polar plus qu’un véritable roman d’espionnage, sur un mode quasi san-antoniesque, avec de vraies questions, une écriture rythmée et des images paradisiaques.
Enfin, n’oubliez pas, « la réalité n’est qu’une hallucination provoquée par le manque d’alcool ».

Patrick Raynal – « Au service secret de Sa Sainteté » – L’Écailler 2011

PS : Patrick Raynal est connu pour être un excellent passeur de littérature nord-américaine, dont il a traduit plusieurs auteurs. Il est aussi le traducteur attitré de Sam Millar.

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