●●●●○ À la marge avec beaucoup de coeur

On the BrinksSam Millar est une énigme. En même temps, on perçoit l’homme fier et droit. A right man. Un mec simple et honnête. Honnête envers les idéaux d’une Irlande républicaine, rêvée depuis des siècles. À côté de vous, il respire la tranquillité, le type heureux d’une vie de dingue, assagi mais certainement pas assoupi, toujours révolté face à l’injustice qui touche son peuple, les prolétaires, les ouvriers, les manards de Belfast.
Cette révolte se traduit par de brillants romans dans lesquels il dénonce la double injustice d’être exploités par les sbires du monde ultra libéral et de vivre sur une terre occupée par les anglais. Sam Millar n’a rien contre les anglais, mais beaucoup contre leur gouvernement. Ces romans ont du vécu, son vécu et celui de ses amis. Dans « Redemption factory« , il nous contait les abattoirs de Belfast où il a travaillé quelques temps, les liens entre pègre et anciens nationalistes, la violence du quotidien générée par la violence de l’Histoire. Sam Millar revient avec « On the brinks » nous narrer une formidable aventure qui, avec quelques ellipses, ressemble fortement à son autobiographie. C’est pourquoi, je débute cet article en présentant l’homme avant de parler du livre et de l’écrivain.
Car la vie de Sam Millar est trépidante, bouleversante, violente et passionnante, loin de l’image du quidam serein croisé dans les couloirs de Quais du Polar. Un homme à la marge pendant de nombreuses années. Sam Millar raconte volontiers que sa vie d’enfant fasciné par le cinéma, la musique et les livres a basculé le jour où son grand frère, très impliqué politiquement comme leur père, l’a emmené participé à une manifestation à Derry. Ce jour, fier de partir en voiture avec son frère et des amis, Sam Millar découvrira la violence gratuite avec 14 manifestants assassinés par les forces britanniques, on était le dimanche 30 janvier 1972 qui restera inscrit dans les mémoires comme « bloody sunday« . Ce jour marquera la fin de l’enfance pour Sam et ses débuts d’activiste républicain. Cela et la suite se trouve dans « On the brinks » où il nous raconte à sa manière deux de ses nombreuses vies.
Une première vie qui démarre lorsqu’il quitte brutalement l’enfance pour se retrouver embastillé à l’âge de 17 ans, officiellement pour ses idées, ses idéaux,Sam Millar plus prosaïquement, parce qu’il est irlandais, catholique, gauchiste dans un pays occupé par des colons anglais protestants.
Après plus d’une décennie passée à Long Kesh qu’il décrit comme la pire des prisons, une prison de guerre où les prisonniers républicains sont déshumanisés par leurs matons, Sam Millar débarque aux États-Unis. À New-York, aidé par la diaspora irlandaise, il démarre par de petits boulots, en particulier dans le milieu des casinos clandestins, jusqu’au jour où, de rencontre en rencontre, germe l’idée de se faire un peu d’argent facile. Cela s’achèvera par le casse de la Brink’s en 1993, un casse monumental et totalement grand-guignolesque. Quelques années à attendre le jugement, puis encore quelques autres à l’ombre où il découvrira que l’écriture est un joli moyen de rédemption…
Aujourd’hui Sam Millar est un écrivain de polars, trois ont été traduits par Patrick Raynal (« Poussière tu seras« , « Redemption Factory » et « On the brinks« ). À noter que tous ses romans n’ont pas encore été traduits (cf. « Millarcrime« ). Il est resté cet homme droit, juste, un peu en marge, observateur de sa ville auquel je souhaite une très longue vie d’écrivain. Si vous voulez l’écouter en podcast de France-Culture, c’est ici, entre la 14′ et la 49′.

Pour revenir à son dernier opus traduit chez nous, le titre « On the brinks » fait donc référence à la société brillamment délestée de quelques billets et avec l’expression signifiant sur le bord de la route (en marge).
La première partie du roman décrit avec toute la noirceur nécessaire la vie d’un jeune prisonnier de Long Kesh, celle des Blanket Men, ceux qui refusaient d’endosser l’uniforme des taulards imposés par leurs geôliers, car ils estimaient n’avoir commis ni crimes, ni délits, mais n’être que des résistants. Sam Millar insiste souvent sur la notion de résistance, toujours dénommée terrorisme par les envahisseurs… le sens du mot variant selon de quel côté l’on se place et Sam Millar revendique être toujours du côté des opprimés, donc des résistants. Les Blanket Men haïssaient de nombreuses personnalités dont l’Église catholique, Martin McGuinness, Gerry Adams (politicards, donc véreux) et abhorrait Margareth Thatcher (1). Je ne suis pas certain que Sam Millar ait débouché une bouteille à l’annonce du décès de cette dernière, mais je suis sûr qu’il a souri et qu’il est fier de lui avoir survécu. Cette partie du roman est âpre, rigoureuse, a valeur de témoignage pour dire cette histoire dans l’Histoire, les mots sont crûs, la langue est acérée et vraie. Sam Millar est aujourd’hui fier d’avoir su transmettre son histoire et celles des prisonniers politiques irlandais, il continue de dénoncer avec ses mots l’occupation anglaise.
La deuxième partie du roman nous narre les aventures loufoques d’un amateur qui se retrouve à l’initiative d’un coup fantastique, comme un joueur de casino qui empoche le jackpot par mégarde. Que les choses soient claires, on ne sait pas ce qu’est devenu la plus grosse partie du magot. on ne le saura jamais, même en torturant Sam Millar. Soit il n’en sait rien, soit il ne dira rien. Et quelque part peu importe, là n’est pas l’histoire. Cette deuxième partie nous amène le sourire. Un seul livre, une seule vie, deux facettes d’un personnage hors normes et pourtant très simple.

Un très bon polar à lire, l’histoire de Long Kesh (the Maze) à découvrir de l’intérieur, noir, émouvant, marquant.

Sam Millar – On the brinks – Seuil 2013

(1) Margareth Thatcher, dont on redécouvre seulement le jour de sa mort qu’elle est à l’origine des politiques de vampirisations qu’ont menées banquiers et grosses fortunes envers le peuple en prônant l’ultra-libéralisme en Grande-Bretagne (les mineurs gallois et écossais s’en souviennent encore) et en l’inspirant partout dans le monde, des États-Unis de Reagan à la Chine de Deng Xiaoping en passant par l’Europe et ses « sociales-démocraties » qui n’ont de social que le nom.
La seule belle action que l’on peut mettre au crédit de la Dame de Fer est d’avoir su enflammé nos oreilles par l’entremise des Linton Kwesi Johnson, English Beat, Costello, Morrissey, Clash.

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2 réponses à ●●●●○ À la marge avec beaucoup de coeur

  1. Ping : Karl Kane et les chiens de Belfast - Un Petit Noir

  2. sam millar dit :

    Rabelais
    thank you for taking the time to review my book. Very much appreciated.
    Merci.

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