●●●●● L’immortelle Barcelone de F.G.Ledesma

Il n’est plus besoin de présenter Francisco González Ledesma, aussi ne le ferai-je pas, laissant ce soin à d’autres, j’ajouterai cependant, qu’il me semble appartenir aux grands auteurs actuels, à l’instar d’un Jim Harrisson, d’un Haruki Murakami ou d’un Dennis Lehane. Il a de plus une place particulière de conteur de cette Barcelone de légende que nous hantions de nuit il y a quelques années, comme l’avait Manuel Vázquez Montalbán, un de ces camarades de clandestinité. L’excellente maison nantaise, l’Atalante continue de publier les enquêtes du cacochyme inspecteur Méndez qui frôle la retraite depuis une vingtaine d’années, continue de vivre dans la Barcelone des années 70 ou 80 et dans le Barri Chino qu’il refuse de renommer. « Il ne faut pas mourir deux fois », dernier opus traduit du maître ne déroge pas aux règles de F.G.Ledesma : une intrigue complexe, un portrait magnifié de Barcelone, une analyse fine et très politique de notre société et humour potache toujours moderne malgré l’âge du capitaine.
Pour vous appâter, enfin pour ceux qui n’aurait pas deux ans de retard dans leurs lectures comme votre serviteur, je ne dévoile pas l’intrigue mais vous soumets de larges extraits :

Sur le personnage de l’inspecteur
« Méndez, le mal embouché, le mal élevé, le mal baisé, le mal né, sentit sur sa langue une compassion que d’aucuns n’éprouvent jamais, la compassion de la rue. »

Sur la description réelle et fantasmée de Barcelone, ici, celle du Pueblo Nuevo
« La tombe était proche de la rue principale du quartier de Pueblo Nuevo, dans le cimetière où toutes les tombes sont anciennes.
Quelques années plus tôt, cette terre avait été maudite (…). Des abris de fortune s’adossaient alors aux murs d’enceinte, un cloaque immonde empoisonnait l’atmosphère et des coups de feu retentissaient non loin dans le Campo de la Bota, où les franquistes fusillaient les ennemis éternels de l’Espagne.(…) Un jour où l’autre, on envisagera sérieusement d’ »optimiser » cet espace urbain en déportant les morts pour attirer les cadres. »

« Quand la nuit tombe, les villes s’animent, mais les anciens quartiers meurent. (…) il restait des terrains vagues, des hangars couverts de tôle ondulée, une église où hier les ouvriers en grève trouvaient asile, un coin de rue qui aujourd’hui offrait l’asile à des amants en rut »
ou là celle d’El Raval, l’ancien Barri Chino
« Dehors l’attendaient la liberté de la Calle Nueva, l’aristocratie de la Rambla du Raval avec ses Indiens, ses Arabes, ses Péruviens et ses Ivoiriens qui s’étaient substitués à la tradition anarchiste du quartier et aux chansons de Raquel Meller. Mais peut-être le district n’avait-il pas tout perdu, peut-être qu’une vieille pute du bordel La Emilia était revenue mourir dans ces rues. Méndez s’éloigna du commissariat de sa démarche de matou, la queue entre les jambes. »

Sur l’humour et la langue acide de Ledesma
« – Méndez, je suppose que l’air pur a entraîné des lésions irréversibles dans votre organisme. Filez-moi donc le nom du mort avant de passer l’arme à gauche (…) »
« Méndez téléphona à Luciá Olmos, experte dans un nouvel art, l’informatique, et dans un art ancien qui consistait à croiser habilement les jambes.(…) Ses collègues affirmaient qu’elle avait deux ordinateurs, un premier sous le crâne, un second entre les cuisses ; ils ajoutaient que ce dernier restait toujours en mode veille. »
« Le jour où on ouvrira un musée des fils de putes, il aura son portrait dans l’entrée. Ce genre de mec a un avis de recherche épinglé sur la bite. »
« Il n’y a pire mouchard qu’un portable. »
« Tard dans la nuit, il fut contraint de réveiller plusieurs de ses potes, qui lui parlèrent de la vertu de sa maman bien que personne n’ait jamais su qui était la mère de Méndez. »

Sur le capitalisme ultralibéral
« – Je finirai mes jours dégoûté, j’ai vu mourir trop d’idéaux, et les gars qui sont morts croyaient encore à la lutte finale, à la victoire finale.
– Ce n’est qu’une chanson (…)
– C’est déjà pas mal. »
« Perdre un peu la mémoire, des fois, c’est préférable. »
« le capitalisme est féroce de nature (…) C’est vrai aujourd’hui, rien ne fait obstacle au capitalisme. On l’a même érigé en exemple moral. »
« – J’ai eu un élan de dignité, parfaitement inutile. (…) Je lui ai dit de se fourrer l’argent où je pense.
– Et il se l’est carré dans l’anus ?
– Non, dans son portefeuille. »
« Plus le capitalisme restreint ses dépenses et tire profit de l’indigence d’autrui, plus il croît et suscite l’admiration. »
« – L’argent permet de bâtir des empires ; si l’on n’a pas d’argent, on ne peut qu’ériger des barricades.
– Ou écrire un poème.
– Ce poème est la relique de l’ultime barricade, la seule chose qui reste quand tous les combattants ont été massacrés. »
« Le moteur de l’humanité, c’est l’inégalité. »
« Si vous êtes un pauvre type avec une dette de cinq mille euros, votre maison est confisquée et l’on vous jette à la rue. Si vous êtes un financier avec une dette de trente millions, vous êtes en danger. Mais si vous faites suffisamment d’esclandre et que vous êtes endetté à hauteur de cinq cent millions, le gouvernement lui-même vous sort du pétrin. »

Francisco González Ledesma – Il ne faut pas mourir deux fois – L’Atalante 2010

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