●●●○○ Pas de deux à Copacabana

C’est un drôle et double pas de deux auquel nous convie Luiz Alfredo Garcia-Roza avec « L’étrange cas du Dr. Nesse » (« Perseguido » en VO) et bien que se déroulant à Rio de Janeiro, ce polar n’est pas une samba. J’avais déjà apprécié « Une fenêtre à Copacabana » ; j’ai retrouvé avec plaisir le personnage du commissaire Espinosa et les phrases emplies de réalisme et d’humour de Luiz Alfredo Garcia-Roza. Ce dernier nous emmène dans l’univers des psychiatres et des psychotiques qu’il connaît bien avec une enquête sur la double identité. C’est pourquoi les éditions Actes Sud ont proposé en français de parodier « Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde ». Le docteur Nesse reçoit en consultation un jeune patient, Isodoro Cruz, qui ne répond qu’au nom de Jonas… Jonas-Janus aurait deux visages selon son médecin qui développe lui-même rapidement une psychose à son endroit. De là, le roman prend de l’ampleur avec Espinosa appelé à enquêter sur la disparition de la fille aînée du médecin et peu à peu sur le médecin et son patient. Espinosa se définit ainsi “Je ne suis pas un guerrier, mais un flic; je ne suis pas un héros, mais un fonctionnaire public; je ne suis pas non plus un philosophe, je n’en ai que le nom.”
Par petites touches, Garcia-Roza distille l’angoisse tout en maintenant une atmosphère feutrée mais la violence est latente, assassinats et morts brutales vont détruire une famille aisée et sans problèmes apparents.
Ainsi, au fil des trois séquences du roman, on hésite de plus en plus entre un patient bipolaire qui persécute un brillant psychiatre et un médecin schizophrène qui craint un jeune poète séducteur. Les personnages
Garcia-Roza sème le doute en parcourant les rues de Copacabana, Ipanema et Peixoto, la zone sud de Rio de Janeiro décrite de ses plages à la favela de Moro do Cantagalo en passant par ses bistrots et ses bouquinistes, en s’attardant sur le froid (très relatif) et les pluies de Rio en janvier, et se moquant aussi de la fonction de flic, le tout avec légèreté :

« malgré la pluie et le froid, le commissaire était de bonne humeur. Il n’aimait pas les parapluies mais il aimait la pluie et le froid. Tout le monde fut d’accord pour dire qu’il devrait aller vivre à São Paulo, la seule ville de l’hémisphère nord qui se se trouvait dans l’hémisphère sud. »

Tous les portraits sont travaillés, en particulier ceux de Letícia, Roberta et Teresa, femmes sous la coupe de leur père et mari mais aussi ceux des collègues flics ou assistante de clinique

«Elle les salua d’un signe de tête et s’éloigna en direction de l’hôpital
– Elle n’est pas impressionnée par la présence de policiers, dit Welber.
– Elle a l’habitude de parler avec les fous. »

De même, le portrait d’Irène, compagne du commissaire que l’on entrevoit est plutôt réussi

« Chaque fois qu’on me parle de mariage, je m’imagine un corset : j’ignore si ce n’est parce c’est vieux, ou parce que c’est étouffant »

Au delà de l’humour, dans « L’étrange cas du Dr. Nesse », Garcia-Roza parle aussi de la corruption endémique de la police, de la ségrégation spatiale de Rio de Janeiro, nous renvoyant toujours à la fêlure humaine, à toute échelle, de celle qui présente les deux faces d’un même être à celle qui défigure les villes… comme un pas de deux

Luiz Alfredo Garcia-Roza – L’étrange cas du Dr. Nesse – Actes Sud 2010

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